41-A - Le camp de Fouillard

Publié le par Pierre Pétour

Alain Racineux nous raconte l'histoire d'un camp militaire, consacré au stockage de munitions et créé en 1939 par l'armée britannique à l'orée de la forêt de Rennes. Il fut utilisé ensuite par les Allemands, avant d'être pulvérisé en 1944 dans une gigantesque série d'explosions consécutive à un bombardement.


 

Le fameux camp de Fouillard :

 

Le 3 septembre 1939, la France et la Grande-Bretagne déclarèrent la guerre à l'Allemagne nazie, suite à l'invasion de la Pologne. Compte tenu de cette alliance, l'Angleterre envoya des troupes dès le lendemain en France. Par la suite les Britanniques eurent l'idée de créer un important dépôt de munitions à Fouillard, bien abrité par les arbres à l'orée de la forêt de Rennes et relié par une voie ferrée à la gare de Betton, avec écartements anglais. En novembre des bulldozers sont arrivés pour construire une voie de chemin de fer et un dépôt de munitions. Le camp fut construit en peu de temps avec des baraques pour loger les soldats. Il s'étendait de la Bouletterie à la Saudrais en Fouillard, avec une extension provisoire entre le petit Gaudrier et la Lande de Billé en Thorigné. Les Anglais s'étaient installés là pour approvisionner le front en munitions. Le dépôt était important. Les trains arrivaient et repartaient selon les besoins du front. Durant leur temps libre, notamment le week-end, des soldats anglais venaient à pied, par groupes de cinq ou six, parfois de sept ou huit, dans les cafés d'Acigné. Ils aimaient bien le café Josse. Ils venaient y jouer aux dames ou aux petits chevaux, manger des œufs de ferme et boire de la bière brune que le patron du café leur commandait spécialement.

Les Ecossais préféraient les cafés du lieu-dit "La Victoire". Ils y mélangeaient, dit-on, du rhum avec leur bière et rentraient parfois manu militari.

 

Tout cela dura sept à huit mois, puis le 10 mai 1940, la Wermacht passa brusquement à l' offensive en passant par la Belgique. En juin la défaite française se mua en débâcle. Le front craquait de partout. Le 14 juin Paris se rendit sans résistance. Le 17 juin le maréchal Pétain demanda l'armistice, malgré le baroud d'honneur des cadets de Saumur. Les Anglais de Fouillard commencèrent à enlever les munitions du camp. Le 17 juin 1740 précisément il en fut fait un train entier qui se rendit à Rennes. Malheureusement ce même jour à 10h40 trois avions allemands surgirent et bombardèrent la gare de triage de la plaine de Baud encombrée de trains de réfugiés, de transports de troupes, de convois d'armements. Le train d'explosifs anglais fut atteint et pulvérisa toutes les rames situées à proximité. Le carnage fut immense. On n'a jamais su le nombre exact de victimes, pour la plupart non identifiables. On a parlé de 1 000 à 2 000 morts.

 

Les militaires partis, des habitants des environs se livrèrent au pillage du camp. Des malins pour se réserver le butin (boîtes de conserves,couvertures,détonateurs,etc) en y revenant plusieurs fois, firent courir le bruit que l'endroit était miné. Certains firent une ample provision qui leur fut utile pendant le reste de la guerre.

Peu après les Allemands arrivèrent par camions entiers avec des tanks, des motos, du matériel impressionnant. Ils s'installèrent sur place et investirent le camp anglais qu'ils qualifièrent de « Beute lager » (dépôt prise de guerre). Deux camps de prisonniers africains de l'armée française furent construits près de la ferme des Blanchets et à la Bouletterie, route de Betton. Hitler n'en voulait pas en Allemagne. Ils furent utilisés comme main-d’œuvre réquisitionnée pendant la durée de la guerre, mais ne furent pas maltraités, semble-t-il. Ils étaient 180 à 200. Les Allemands clôturèrent de barbelés le dépôt avec interdiction d'y pénétrer. Il y avait 12 tours de guet armées (entre 7 et 12 m de hauteur au-dessus des arbres) et six baraquements sur Fouillard. L'Occupation dura quatre ans. Pendant cette période, les relations avec les Allemands furent correctes. Le commandant du camp était un bel homme, assez humain. Les Français eurent surtout à souffrir des restrictions (cartes individuelles de rationnement notamment) et des contraintes. En effet les gens du coin furent réquisitionnés pour creuser des abris pour véhicules en forêt et des trous anti-chars. Au niveau répressif, Joseph Gentil fut arrêté en 1943 pour Résistance et déporté à Mathausen. Ce fut par les SS sur dénonciation.

 

Tout cela arriva à sa fin. Le 6 juin 1944, ce fut le Débarquement et les Anglais se souvinrent du bombardement de la plaine de Baud. Quatre ans après jour pour jour, ils organisèrent le pilonnage du camp de munitions de Fouillard. Dans la nuit du 16 au 17 juin 1944, 300 bombardiers de 12 bombes chacun (groupe n°4 du Bomber Air Command) déversa plus de 3 000 bombes sur le secteur. Guidés par des fusées de marquage, les avions évitèrent les camps de prisonniers mais ne purent éviter quelques bavures : les habitants s'étaient mis aux abris mais il y eut quand même 7  civils tués et la conduite d'eau de l'aqueduc de la Minette (venant de la Mézière-sur-Couesnon), qui alimentait Rennes, fut crevée sur 400 m privant la ville d'une partie de son alimentation en eau potable. Pendant le bombardement, un habitant se souvient que le sol tremblait, il se cramponnait à la table et les meubles faisaient des bonds ! Le bruit des explosions du dépôt fut terrible. On l'entendit nettement d'Acigné malgré la distance (7 km), d'autant plus que la nuit les bruits sont amplifiés. Il était entre minuit et une heure du matin. Les murs tremblaient. Presque tous les Acignolais passèrent une nuit blanche. Quant à l'objectif visé, le but fut atteint. Un témoin a déclaré : « Le feu était dans le dépôt et des baraques explosèrent dont un abri pour lance-flammes. On a retrouvé des débris à des kilomètres alentour. Après le bombardement sur une trentaine d'hectares, il ne restait plus une feuille dans les arbres. Certains étaient découpés, déchiquetés ».

 

Un mois et demi plus tard, les Américains étaient à Betton, stoppés quelques jours à Maison Blanche par la DCA allemande, avant d'entrer dans Rennes le 4 août. A la Libération, le camp de Fouillard fut laissé à l'abandon. Il y eut un groupe de prisonniers allemands qui entretenait le camp et ensuite ce furent les services de déminage qui en prirent possession. C'était libre d'entrée, les gens venaient récupérer des explosifs pour faire sauter des souches et les ferrailleurs cherchaient cuivre, bronze, métaux de toutes sortes. Pendant plusieurs mois, les poudres d'explosifs et les détonateurs ont été la distraction des garnements. Des jeunes venaient à pied de Rennes pour faire de la collecte. Plusieurs imprudents y ont perdu des doigts ou une main. Tous les terrains qu'avait occupé le camp sont restés en friche jusqu'en 1952, à l'emplacement où a été construit le Placis Vert. Aujourd'hui on ne voit plus grand'chose des anciens lieux d'occupation. Les voies de chemin de fer qui y conduisaient ont été enlevées. Les miradors ont été abattus, les munitions détruites.

 

Pendant cette période conflictuelle, peu de gens possédaient un appareil photo ou ils n'osaient pas prendre de clichés des occupants. Par une circonstance peu fréquente, Stéphan Schneider, petit-fils du commandant du camp allemand de Fouillard, a contacté via internet Pierre Pétour, membre de l'association amie C.A.P. de Thorigné-Fouillard. Il parle bien français et au fil des échanges, a transmis à son correspondant des photos inattendues et précieuses de l'Occupation à Fouillard, rapportées par son grand-père. Vous les trouverez ci-dessous. Merci à lui.

 

Alain Racineux,

avec l'aide de Pierre Pétour.

 

Sources :

 

  • René Harcher : Le camp de munitions anglais,ensuite allemand. Cahier de C.A.P. 2009.
  • Dominique Launat : Thorigné-Fouillard. Histoire et vie quotidienne : témoignages et documents. Editions C.A.P.  Octobre 2007.
  • Alain Racineux : Histoire d'Acigné et de ses environs, Rennes,1999.
  • Stephan Schneider : lot de photos 1940-44 sur Fouillard.

 

Soldats anglais au camp de Fouillard en 1940 (Photo Thérèse Dufour)

La plaine de Baud après le bombardement allemand du 17 juin 1970 (Photo Jean Courcier)

Prisonniers africains à Fouillard (fonds S. Schneider)

Approche du camp de munitions sous les arbres (id.)

Entrée du camp de munitions de Fouillard (id.)

Dans le camp de munitions occupé (id.)

Dégustation de Vouvray dans un café (id.)

Promenade des occupants dans le bourg (id.)

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